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Idées

Antisémitisme : la renaissance d'un fléau qu’on croyait enterré

EDITORIAL - Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, l'antisémitisme a fait son retour dans le débat public. La recrudescence d'actes antisémites ou de prises de position sur un fil rappellent que ce mal, qu'on croyait appartenir au passé, affleure toujours dans nos sociétés.

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Des tags sur un restaurant casher de Levallois-Perret, en août 2023.

Des tags sur un restaurant casher à Levallois-Perret, en août 2023. Dernièrement, ce sont des tags antisémites découverts dans le XIXe arrondissement de Paris qui ont choqué l'opinion publique. 

LIONEL URMAN/SIPA
Des tags sur un restaurant casher de Levallois-Perret, en août 2023.
Antisémitisme : la renaissance d'un fléau qu’on croyait enterré
Michel Winock
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L’une des dimensions les plus douloureuses, les plus effrayantes de la guerre à Gaza, est la recrudescence de l’antisémitisme, en France particulièrement. Agressions verbales, tags d’appel au meurtre, haine sur les réseaux sociaux... Autant d’abominations qui s’affichent, comme si chaque juif était responsable de la politique du gouvernement israélien. Le racisme fonctionne par généralisation, assimilation, et dépersonnalisation de l’individu. Le nazisme en a été la suprême étape: anéantir tous les juifs parce que juifs.

L’antisémitisme a une longue histoire. Au Moyen âge, les juifs étaient le peuple "déicide", responsables de la mort de Jésus. Ostracisme, exil, conversion de force, interdictions multiples, ils étaient méprisés, non comme race, mais comme antichrétiens. L’antijudaïsme a précédé l’antisémitisme à proprement parler.

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Une théorie du complot antijuifs

Cette semaine, sort sur nos écrans le film du grand cinéaste italien, Marco Bellocchio, L’Enlèvement, qui raconte l’affaire Mortara survenue en 1858 à Bologne, qui faisait partie des Etats pontificaux. Comment une servante catholique travaillant dans une famille juive avait cru devoir baptiser clandestinement un enfant de six ans malade pour lui épargner les errances des "limbes", et comment, l’enfant ayant survécu et la nouvelle étant connue de la papauté, il fut arraché de force à sa famille, pour être éduqué en bon chrétien dans la maison des catéchumènes à Rome. La Congrégation du Saint-Office reconnut avoir agi "avec une certaine énergie".

La nouvelle de ce rapt théocratique arrive bientôt dans tous les pays d’Europe occidentale, où la presse libérale d’Allemagne, de Belgique, d’Angleterre et de France développe une protestation. Les autorités romaines la repoussent "au nom du Christ" et du droit supérieur de l’Eglise à tout droit humain. En France, une vive polémique oppose Le Siècle, Le Journal des Débats et Le Constitutionnel à une presse catholique dont L’Univers de Louis Veuillot est le fleuron le plus ardent.

Dans une série d’articles, Veuillot, défenseur zélé du pape réactionnaire Pie IX (auteur en 1864 du Syllabus qui condamne le monde moderne), reprend point par point l’argumentaire de l’Inquisition, selon lequel le jeune Mortara est entré dans l’Eglise par le sacrement du baptême et doit y rester. Mais surtout il publie un véritable feuilleton sur les juifs qui, par certains aspects, ouvre la voie à la transformation de l’antijudaïsme médiéval en judéophobie moderne. S’en prenant à la presse libérale qui conteste le droit de l’Eglise, Veuillot en vient à clamer que l’affaire Mortara a été lancée par les "journaux juifs". Il évoque ainsi l’existence d’une puissance juive occulte et ébauche les éléments de la théorie du complot : "La Synagogue est forte. Elle enseigne dans les universités, elle a les journaux, elle a la banque, elle est incrédule, elle hait l’Eglise ; ses adeptes et ses agents sont nombreux."

Une longue histoire de persécution

Cet antisémitisme d’origine catholique (même si tous les catholiques français n’approuvaient pas le polémiste de L’Univers), était alors complété par un antisémitisme socialiste dont l’illustration la plus claire était l’ouvrage du fouriériste Toussenel, "Les Juifs rois de l’époque", qui faisait l’amalgame entre les juifs et le capitalisme. S’élaborait ainsi au XIXe siècle, par des sources différentes la passion antijuive dont la synthèse se présentera clairement sous la plume d’Edouard Drumont en 1886 dans "La France juive". Au début du XXe siècle, c’est un faux, "Les Protocoles des sages de Sion", élaboré dans la Russie des tsars, qui sera censé apporter la preuve de la conspiration mondiale ourdie par les juifs. Une forgerie largement traduite, diffusée par les intégristes catholiques (groupusculaires) et par les islamistes (planétaires).

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Le film de Marco Bellocchio nous incite à la réflexion sur la longue histoire d’une persécution qu’on croyait achevée après la Shoah, mais qui renaît cruellement au XXIe siècle, comme une gangrène incurable. En France aujourd’hui, l’opinion, les médias et les pouvoirs publics ont réagi contre l’immonde campagne antisémite, mais le mal est profond et doit alerter et mobiliser en permanence tous ceux qui ne se résignent pas au retour de la barbarie.

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