Pierre Hillard LE 14 Juin 2021 sur la chaine Youtube TVL

Lors de l’université d’été de Civitas, fin juillet, Pierre Hillard (ici, en 2021, sur la chaîne YouTube TVL) a notamment proclamé : "La naturalisation des juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration. Parce qu’à partir du moment où vous donnez la naturalisation française aux juifs, tôt ou tard, vous ne pouvez pas la refuser aux bouddhistes, aux musulmans, etc."

Capture d'écran Youtube-Chaîne officielle TVL

Sur la lettre, l’écriture manuscrite est nette et méticuleuse. "Monsieur, je vous envoie un document bombe." En ce 27 avril 2002, Pierre Hillard, jeune thésard en sciences politiques, semble persuadé d’avoir découvert l’équivalent de l’atome. "La carte de l’Europe ethnique conçue avec la caution du Parlement européen, le tout accompagné d’un commentaire, poursuit-il. N’hésitez pas à diffuser au maximum cette carte qui montre que l’expression ’fédération d’Etats-nations’ est un mensonge." Le document en question, effectivement siglé du drapeau de l’Union européenne, recense en réalité la liste des partis régionalistes européens. On y trouve les numéros et les adresses du Parti national écossais, du Parti occitan, ou encore de l’Union démocratique bretonne.

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Pour Hillard, cet annuaire est un véritable scandale d’Etat. "Ces documents germano-européens préparent l’Europe des tribus, s’inquiète-t-il dans une note annexe. […] La carte de l’Europe présentée ci-contre est un véritable document des buts réels qui animent en particulier le Parlement européen". A l’époque, le doctorant réserve cette analyse au site de l’Alliance pour la souveraineté de la France (ASF), priant le destinataire de sa lettre, Francis Choisel, président et fondateur de cette association marginale de droite souverainiste, de la mettre en ligne. "On le connaissait surtout pour ses idées sur l’Allemagne et l’Union européenne. Depuis, je l’ai perdu de vue, explique l’intéressé, qui reprend, hésitant : Pourquoi parle-t-on de lui ? Il a tenu des propos polémiques, c’est ça ?"

Au cœur des milieux complotistes

C’est peu de le dire. Fin juillet, devant une salle pleine, un Pierre Hillard vieilli de plus de vingt ans a déroulé un exposé bien éloigné de ses craintes sur la domination allemande à Bruxelles. "La naturalisation des juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration. Parce qu’à partir du moment où vous donnez la naturalisation française aux juifs, tôt ou tard, vous ne pouvez pas la refuser aux bouddhistes, aux musulmans, etc., développe-t-il. Lorsque Eric Zemmour critique avec justesse l’invasion migratoire, il oublie de dire que ce sont ses coreligionnaires qui ont ouvert les portes de l’immigration." A la cinquième édition de l’université d’été de l’organisation Civitas, qui abrite cette conférence, ses déclarations ne font pas scandale, au contraire. "Si on rétablit les lois de catholicité et qu’on fait du catholicisme traditionnel une religion d’Etat, peut-être faudrait-il retrouver la situation d’avant 1789", poursuit-il, avant d’être applaudi.

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Cette intervention a entraîné une réaction du ministre de l’Intérieur. "L’antisémitisme n’a pas sa place dans notre pays. Je condamne fermement ces propos ignominieux", a indiqué, le 7 août, sur Twitter, Gérald Darmanin, annonçant dans la foulée avoir "saisi le procureur de la République [et demandé à ses] services d’instruire la dissolution de Civitas". L’auteur de cette logorrhée est un habitué de ce genre de saillies. Obsédé par le "nouvel ordre mondial" – auquel il a consacré plusieurs ouvrages – et, plus globalement, par "les juifs", Pierre Hillard est peu à peu devenu une des figures des milieux complotistes et antisémites français.

Proche des milieux souverainistes

Habitué de la marge, l’homme a toutefois commencé dans des cercles bien plus respectables. Né en 1966, il fait son entrée dans l’associatif à l’aube de ses 30 ans. En 1998, alors que se négocie le traité d’Amsterdam – qui visait à ébaucher une coopération judiciaire entre pays de l’Union européenne –, Hillard adhère à une toute jeune association : l’Alliance pour la souveraineté de la France, fondée par Francis Choisel, alors conseiller général RPR des Hauts-de-Seine, et Bernard Chalumeau, responsable local du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers.

L’organisation, l’un des balbutiements du tissu souverainiste français, rassemble une palanquée de personnalités "cooptées". On y croise Louis Aliot, alors conseiller régional Front national de Midi-Pyrénées, les députés Jacques Myard (RPR) et Christine Boutin (UDF), ou encore le futur président de Radio Courtoisie Henry de Lesquen, depuis condamné plusieurs fois pour provocation à la haine, injures publiques et contestation de crime contre l’humanité. Pierre Hillard, alors tout juste trentenaire, y expose ses travaux en sciences politiques, sans forcément parvenir à faire mouche. "Il était assez modéré par rapport au combat souverainiste, présent mais pas très actif, se souvient Francis Choisel. Il écrivait beaucoup sur l’Allemagne, mais, comme notre association était avant tout souverainiste, nous avons peu utilisé ses travaux."

Remarqué par l’Action française

De fait, Hillard est passionné par son sujet, au point de le transformer en livre. Minorités et régionalismes dans l’Europe fédérale des régions. Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe, publié en 2001 aux éditions François-Xavier de Guibert, est préfacé par le souverainiste Paul-Marie Coûteaux, alors eurodéputé et proche de Charles Pasqua et de Philippe de Villiers, également membre de l’ASF. "J’avais été son professeur et directeur de mémoire, se souvient Paul-Marie Coûteaux. Il m’avait donc demandé d’en écrire la préface." La postface est rédigée par l’historien Edouard Husson, futur proche de Marion Maréchal. Au début des années 2000, tout ce petit monde grenouille dans le milieu souverainiste. C’est donc presque naturellement que Pierre Hillard cherche à se rapprocher de Jean-Pierre Chevènement, candidat à la présidentielle de 2002. "Il lui avait fait une offre de service, et j’avais directement écarté cette demande, se souvient le politologue Jean-Yves Camus, alors plume des discours du député chevènementiste Georges Sarre. Il était à l’époque dans une forme de souverainisme assez paranoïaque, qui s’intéressait au dynamitage de l’Etat-nation par un lobby et qui préfigurait ses obsessions futures."

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Pour valoriser cette demande – avortée –, Hillard se prévaut d’un parrain, le général Pierre Marie Gallois, un géopolitologue qu’il a pu croiser à l’ASF, mais aussi au cours de ses collaborations pour Balkans-Infos, dont il est membre du comité de rédaction. Sur le site du mensuel, qui entend s’affranchir de la "pensée unique" et du "politiquement correct", le chercheur continue de développer ses thèses sur "le plan final" de régionalisation de l’Europe. "Tout cela a été préparé à l’avance", écrit-il, voyant dans l’Union européenne un plan pour la suprématie allemande permise par l’entremise des Etats-Unis. Il continue également de travailler sur sa thèse, qu’il soutient en 2005 à l’université Paris-Descartes. Portant sur "Les ambiguïtés de l’Allemagne dans la construction européenne", elle est dirigée par Edmond Jouve, politologue iconoclaste notamment connu pour ses voyages en Corée du Nord. Sa thèse, qui reçoit la mention "très honorable", est aussi saluée dans le bimensuel de l’Action française, mouvement royaliste d’extrême droite.

De plus en plus tourné vers l’identitaire

Il s’éloigne vite des rives de la recherche pour se consacrer à ses marottes. Dès 2007, il publie La Marche irrésistible du nouvel ordre mondial (éd. François-Xavier de Guibert), dans lequel il dénonce le "mondialisme", suivi de La Fondation Bertelsmann et la "gouvernance mondiale", en 2009. Ses livres ne rencontrent qu’un succès très confidentiel (il en vend moins de 2 000 exemplaires). En parallèle, il enseigne pendant plusieurs années les relations internationales à l’Ecole supérieure du commerce extérieur (ESCE). Pourtant, dès 2008, il assiste aux événements d’Egalité et Réconciliation, la toute jeune formation de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, créée un an plus tôt. Il donne même une conférence au théâtre de la Main-d’Or, alors géré par Dieudonné. "Il est relayé un an plus tard sur le site d’Egalité et Réconciliation avec le titre évocateur : ’Vers une gouvernance globale ?', où il explique qu’il existe un grand projet mondialiste consistant à faire disparaître les nations pour mêler tous les peuples dans un grand Etat mondial", explique Christophe Le Dréau, historien, spécialiste de la construction européenne. C’est le fameux "nouvel ordre mondial". Il ne quittera plus jamais cet entourage. Il préface l’ouvrage de Claire Séverac, La Guerre secrète contre les peuples, publié en 2015 par Kontre Kulture, la maison d’édition d’Alain Soral. Puis il enchaîne les rencontres avec Sylvain Durain, auteur et éditeur, avec qui il dénonce régulièrement le "messianisme juif". Dix ans plus tard, il sera même témoin au procès d’Alain Soral pour la publication de caricatures antisémites sur le site d’Egalité et Réconciliation.

Le ministre de l’Intérieur a "condamné fermement les propos ignominieux" de Pierre Hillard tenus lors de l'université d'été de Civitas et annoncé avoir demandé à ses services "d’instruire la dissolution" de l'organisation catholique intégriste. (Ici, lors d'une manifestation à l'appel de Civitas, le 8 mai 2016, à Paris.)

Le ministre de l’Intérieur a "condamné fermement les propos ignominieux" de Pierre Hillard tenus lors de l'université d'été de Civitas et annoncé avoir demandé à ses services "d’instruire la dissolution" de l'organisation catholique intégriste. (Ici, lors d'une manifestation à l'appel de Civitas, le 8 mai 2016, à Paris.)

© / afp.com/FRANCOIS GUILLOT

De plus en plus radical, Pierre Hillard n’est plus enseignant à l’ESCE, mais enchaîne les contributions à des sites comme Boulevard Voltaire, Réseau Voltaire, et intervient sur Radio Courtoisie. "Hillard a accordé un entretien à Islam & Info, site identitaire proche des Frères musulmans, ajoute Bernard Bruneteau, historien, professeur émérite de sciences politiques à l’université Rennes I. Globalement, les officines identitaires ont sa faveur, et il s’y exprime beaucoup plus librement que dans ses ouvrages." A partir de 2010, les inquiétudes d’Hillard quant au régionalisme européen ont cédé la place à une autre angoisse. "Il repère le point de départ de la 'mystique mondialiste' dans le messianisme du 'judaïsme talmudique', à l’origine de tous les maux de la modernité, poursuit l’historien. Au service de cette mystique mondialiste, on trouve des 'agents' historiques : révolutionnaires universalistes, dirigeants anglo-saxons, européistes, 'sionistes mondialistes'." Il a repris tous les éléments de la théorie du complot et des vieilles thématiques antisémites.

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Ce discours, tout délirant qu’il soit, a trouvé son public. Sur Facebook, Pierre Hillard compte 23 000 abonnés. Il fait régulièrement la tournée des conférences d’organisations comme Egalité et Réconciliation ou Civitas, où il lui arrive de vendre ses ouvrages. Les ventes sont d’ailleurs moins confidentielles que celle de ses premiers livres. Selon Edistat, statistiques de ventes de livres dans l’Hexagone, les deux éditions de son Atlas du mondialisme (Le Retour aux sources), à 45 euros l’unité, se sont vendues à près de 8 000 exemplaires. Ses Chroniques du mondialisme 2010-2020 (Culture & Racines), à 5 745 exemplaires. Idem pour Archives du mondialisme. De la guerre contre l’Ancien et le Nouveau Testament (Nouvelle Terre), vendu à 5 350 exemplaires. Toujours selon Edistat, ses six derniers livres, tous consacrés à son obsession contre le "mondialisme", ont engrangé un chiffre d’affaires total de 940 000 euros. Son conspirationnisme a trouvé un public. Et il faut encore noter que les ouvrages vendus en marge des nombreuses conférences qu’Hillard donne ne sont pas comptabilisés, puisqu’ils se situent hors du circuit des librairies et des grandes surfaces.

Longtemps confiné aux sphères de l’Action française et d’Egalité et Réconciliation, l’homme semble avoir trouvé un nouveau combat fructueux dans le complotisme antivax. "Pour lui, la pandémie serait un instrument employé par les forces mondialistes pour conditionner les personnes à un traçage permis par le vaccin", explique Jean-Yves Camus. Vingt-quatre heures après l’annonce de Gérald Darmanin de la dissolution de Civitas, Pierre Hillard donnait d’ailleurs une visioconférence de deux heures animée par Pierrick Thevenon, un ancien pompier proche des mouvements antivax.

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